Quand un #RDVAncestral me met en danger !

Cet éblouissement, je le reconnais, ce n’est pas la fatigue de cette longue journée. Non c’est un #RDVAncestral. Je sais à présent détecter les signes. On est samedi soir, il est tard. Qu’étais-je en train de faire ? Ah oui, je travaillais sur ma généalogie aubracoise. J’étais en train de lire des actes de Saint-Urcize !

Il faut que j’ouvre les yeux, je sais où je vais être mais que va-t-il se passer ?

J’entends des cris ! Des hommes avinés – sans aucun doute, au son de leurs voix – s’invectivent. Ils sont quelque part derrière moi. Vais-je oser aller voir ? Le ton monte et je ne veux pas me mettre en danger… Je crois qu’ils se battent à présent !

Oh non, un coup de feu ! Suis-je le témoin d’un meurtre ? Mes ancêtres ont-ils un rapport avec cette affaire ?! Je me cache vite dans un fourré.

Vous allez me dire que je ne suis pas très brave mais je ne peux pas me défendre dans de telles conditions ! Comprenez-moi…

Un homme passe en courant, ouf il ne m’a pas vue ! J’attends un peu, si jamais il revenait. Puis je me décide à sortir de ma cachette toute tremblante. Que vais-je trouver devant moi ? Je ne distingue pas grand chose, il fait très sombre.

Et puis mince ! Je me suis prise dans une racine, j’ai fait une belle chute !

Et quand je me suis relevée je me suis rendue compte que j’étais de retour chez moi ! Il ne fait aucun doute que j’étais à Saint-Urcize car toutes les fois précédentes où je me suis transportée dans le passé c’était dans un village faisant l’objet de mes recherches. Saint-Urcize ! Mais j’y suis déjà allée, il y a deux ans exactement. C’était pour le mariage du frère de mon ancêtre, Henry Biron et sa promise Marie Magdelaine d’Estaing qui avait eu lieu le 18 février 1697.

Saint-Urcize est un village du Cantal, au sud de l’Aubrac, au croisement de trois départements – le Cantal, la Lozère et l’Aveyron.

Aubrac

Je compulse mes notes, je parcours mes images d’archives à la recherche de cet événement. Il y a forcément quelque part, quelque chose en rapport avec cet événement que je viens de vivre ! Mais oui, ça y est, je viens de le trouver. Quelques images prises dans quelques épaves judiciaires de Saint-Urcize aux XVIIe et XVIIIe siècles m’apportent la réponse.

J’ai bien tout lu, tout analyser, remis les événements dans l’ordre. Me voilà en mesure de vous exposer les faits.

L’histoire se passe quelque part aux alentours de Soucheraldes, Repon et Jeansenet, au nord du bourg de Saint-Urcize, dans un chemin appelé Las Bardieres de Soucheraldes, entre chien et loup dans la nuit du 12 au 13 novembre 1715.

Mais elle avait commencé le 12 novembre 1715. C’était le lendemain de la foire de Marvejols, un événement dans la région. L’histoire débute donc chez Henry Biron et son épouse Marie Magdelaine d’Estaing à Repon. Trois hommes, dont l’un armé d’un fusil, y boivent deux bouteilles de vins avant de se retirer. Enfin 2 bouteilles d’après la propriétaire, seulement une chopine d’après la servante Catherine Bonnevide… Il s’agissait du fils aîné de Mr Dalo, Lerange et Le Mignon de Nasbinals.

Entre nuit et jour, alors qu’il est dans l’écurie de son frère Pierre chez qui il est bouvier, Jean fils de Jean Vincens, un paysan de Soucheraldes, entend tirer un coup de feu. Le fils de Lange et le bouvier de Jean Huguet arrivent quelques temps plus tard à la recherche de Jean Prunières car ses bœufs sont arrivés sans lui au Repon. Les deux hommes sont convaincus que le fils du Sieur Dalo, Lerange et Le Mignon s’en sont pris à Jean Prunières. Pierre Vincens, avait aperçu un bouvier revenant de la foire avec son char chargé de bois, tiré par ses bœufs. Mais il n’y voyait pas assez pour l’identifier. Il a entendu crier puis tirer un coup de feu.

Carte de Cassini (Source: Gallica)

C’est le bouvier de Jean Huguet, Pierre Vigouroux, qui découvre le lendemain matin deux corps après que la mère de Jean Prunières inquiète de son absence s’en soit enquise. Revenant des bois d’Aubrac avec ses bœufs, il avait vu bien tard les trois hommes devant le four de Jeansenet, deux étant armés d’un fusils tout comme le bouvier d’Henry Biron, Jean Ribeyrollis, fils du paysan Antoine de Costeroste de Recoules d’Aubrac. Lui n’a vu qu’un fusil mais les hommes lui ont parlé pour critiquer la qualité de son bois.

Qu’a découvert exactement Pierre Vigouroux ? Le corps de deux hommes, raides morts au milieu du chemin. Celui de Jean Prunières et celui de l’un de ses agresseurs, Le Mignon de Nasbinals. Ce dernier est étendu la tête sur le côté, les mains étendues, l’une quasiment fermée, le nez ensanglanté tout comme sa chemise sur toute sa hauteur du côté gauche, du cou jusqu’à la ceinture. Il est vêtu d’un justaucorps minime fort usé, d’une chemisette blanche dessous également ensanglantée et de chausses de couleur burel (marron foncé). Il porte des guêtres aux jambes et des souliers. La pointe de son pieds gauche se trouve sous le talon de son pied droit. Dans ses poches au nombre de 4 se trouvent un couteau à la lame brisée à moitié et un chapelet.

un chapelet

Quant à la pauvre victime, Jean Prunières, s’il a donné des coups, il en a lui aussi reçus. Il a été tiré sur le gazon, la face tournée vers le ciel. Il a les yeux fermés, le nez ensanglanté, la bouche blessée à la lèvre inférieure du côté gauche. Il porte une veste de couleur burel avec deux poches l’une vide et l’autre contenant un mouchoir, une chemisette blanche ensanglantée et davantage encore sa chemise grise, ses culottes et brodequins sont aussi de couleur burel, dans une poche se trouve aussi un petit chapelet. Enfin il est chaussé simplement de sabots.

La justice après avoir relevé tous ces détails a remonté le chemin et y a découvert une gaine de bois pour un couteau et deux chapeaux, l’un étant retroussé, l’autre non. Maitre Gabriel Remi chirurgien juré de Saint-Urcize devait procéder à la recherche des blessures. Claudine Fabre, la veuve de Jean Prunières, enceinte, ne semble pas se porter partie civile bien que ça lui ait été proposé.


Suis-je apparentée aux protagonistes ? Évidemment !

  • Henry Biron est le fils ainé de mon plus lointain ancêtre patronymique
  • Catherine Bonnevide est deux fois apparentée au Bonnevide de l’ascendance de mon mari.
  • J’ai bien des Vincens et Huguet à Saint-Urcize mais une bonne cinquantaine d’années auparavant.
  • Jean Prunières est sans aucun doute de ma famille par son père comme par sa mère.
  • le fils ainé du Sr Dalo est de ma famille et de celle de mon mari.

Que disent les registres paroissiaux aux alentours de la date du 13 novembre ? Et bien vraiment pas grand chose ! Comme quoi, on peut passer à côté de morts tragiques dans notre généalogie sans même sans douter.

À Saint-Urcize à la date du 14 novembre 1715 il y a deux enterrements d’hommes sans aucune information sur le drame les entourant :

  • celui de Jean Charbounier mari de Claude Fabre du village de Buges (au nord de Repon)
  • celui de Jean dit Minion de Nasbinals
R.P. de Saint-Urcize (A.D. du Cantal)

À Nasbinals, le registre nous apprend au moins le véritable nom du Mignon pas si mignon ! Il s’agit de Jean Saint-Jean, mais pas la moindre information sur le drame. Il était marié depuis 3 ans et père de deux filles d’un et deux ans.

R.P. de Nasbinals (A.D. de la Lozère)

Le curé de Saint-Urcize n’est vraiment pas très précis, il se trompe sur le patronyme de Jean Prunières et à la naissance de son fils posthume Antoine survenue le 20 février suivant, il n’indique même pas que le père est décédé. Sa mère Claudine Fabre était une toute jeune épousée depuis seulement 4 mois au moment du drame ! Elle se remaria 5 ans plus tard et mourut à 75 ans.

Quant au fils ainé du Sieur Dalo et au Lerange ? Mystère, même si je sais précisément qui est le Sieur Dalo. Il s’agit de Jean Allo ou Dallo (1660-1748), avocat, procureur d’office et maire de Nasbinals. J’ose espérer que le fils ainé est Joseph né en 1687 dont je ne connais pas le devenir et non pas Pierre né en 1689 qui exerça les mêmes professions que son père !


Appel à témoin… non pardon appel à dessin ! 🤷‍♀️

Si parmi mes lecteurs, il y a l’âme d’un dessinateur : j’adorerais avoir un dessin ou croquis de la scène ! 🤞🤞🤞


#RDVAncestral

Ce projet d’écriture, ouvert à tous, mêle littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : Je me transporte dans son époque et je rencontre un aïeul. Le troisième samedi de chaque mois, retrouvez ainsi les belles rencontres que vous offrent les passionnés d’écriture :

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