Pourquoi ma grand-mère s’appelait-elle Pellet-Langlais ? Qui était le premier de ce nom ? Voici des questions que je me suis posées assez tôt dans mes recherches. Si aujourd’hui je n’ai pas encore la réponse formelle, j’ai, je pense, une bonne piste de réflexion.Ma grand-mère est née Pellet-Langlais en 1927 tout comme son père Joseph en 1877.
Son grand-père Michel est né Pellet l’anglais en 1821 comme une partie de ses frères et sœurs. Mais le patronyme n’est pas encore fixé. Sur 11 enfants, 4 sont nés Pellet l’anglais, 1 est né Pellet langlais et 6 sont nés simplement Pellet.
Leur père, Aimé, est né Pellet L’anglois en 1786, marié Pellet en 1813 et 1817, mort Pellet Langlais en 1832. Parmi ses 8 frères et sœurs, 3 sont nés Pellet dit L’anglois, 1 Pellet dit Langlais et 4 sont nés simplement Pellet.
Auparavant l’ascendance est simplement Pellet, au début du XVIIe siècle elle était même Pellet Gallay. Mais c’est une autre histoire…
On s’aperçoit que le premier à être qualifié de “L’Anglois”, c’est leur père, le trisaïeul de ma grand-mère, Claude Pellet. S’il est né simplement Pellet en 1742, lors de son inhumation en 1789 et de son testament en 1788, il est dénommé Pellet dit L’Anglois et Pellet L’Anglais.
R.P. de Viuz-en-Sallaz 1789
Tabellion de Viuz-en-Sallaz 1789
Son premier enfant “Pellet dit L’Anglois” est né en 1777. Il est donc affublé de ce surnom qui deviendra patronymique au cours de sa vie. Avant 1777 dans les actes, sans doute avant dans vie quotidienne.
Que sait-on sur sa vie ? Il est né à Boisinges à Viuz-en-Sallaz en 1742 et y est mort en 1789. Il s’est marié dans sa paroisse en 1769. Rien en rapport avec son nom… J’ai donc entrepris d’explorer le tabellion à la recherche d’information sur sa vie. Qu’est-ce que le tabellion ?
À l’origine le tabellion était un notaire subalterne. En Savoie le terme a servi à définir une nouvelle institution. Charles Emmanuel établit en 1610 l’obligation d’insinuation des actes, abandonnée en 1626 et rétablie par Victor Emmanuel en 1696-1697. Chaque notaire dépend d’un bureau en fonction de son lieu de résidence (19 bureaux en Savoie et 19 en Haute-Savoie). Le Tabellion est le double intégral des actes passés devant notaires. Les actes sont manuellement transcrits par année et par bureau sur les pages de volumes reliés de grandes dimensions et pouvant compter jusqu’à 400 folios par volume. Il y aussi souvent des répertoires. Ce sont les notaires eux-mêmes qui recopient périodiquement leurs actes sur le registre. Donc dans ces tabellions on trouve toutes sortes d’actes. Le contrat de mariage, le testament et l’inventaire après décès sont souvent les plus prisés des généalogistes mais en réalité tous les actes sont importants. Il n’est pas rare dans un contrat de vente de remonter la possession d’une terre aux grands-parents, dans un obligation de dette de faire référence à une dette plus ancienne contractée par un grand-père, les partages peuvent avoir lieu entre des cousins germains voire plus éloignés etc…
Un acte du 15 avril 1765 dans le tabellion de Viuz-en-Sallaz le dit “marchand roulant en Lorraine où il a laissé des caisses à Mirecourt. Voilà qui éclaire une partie de sa vie puisque jusqu’à présent je le pensais laboureur. C’est ainsi qu’il a fini sa vie au village mais dans ses jeunes années il est parti travailler à l’étranger, en France et pourquoi pas en Angleterre…
Les gens du Chablais et du Faucigny avaient “l’habitude d’émigrer l’hiver vers le nord : Paris, le Franche-Comté, la Lorraine. On en trouve en Allemagne et jusqu’en Pologne au XVIIe et XVIIIe siècles. (…) On partait comme marchand roulant, c’est à dire colporteur.”
Annales de géographie Année 1939 – 273 pp. 290-29, Les Préalpes françaises du nord d’après Raoul Blanchard [article Jules Blache]
Les archives notariales de Viuz-en-Sallaz et la consigne des mâles montrent beaucoup d’hommes partis, dans le nord de la France, l’Alsace, Paris mais aussi la Hongrie ! Pourquoi pas l’Angleterre ! D’ailleurs sa future épouse Josephte Carrier est la nièce de Roch Carrier et la cousine germaine d’Etienne Grange. Tous deux étaient négociants à Léopold en Pologne. Ils se firent tellement remarquer par leur conduite et leur probité qu’ils furent tous deux agrégés à la noblesse de Galicie d’après † Ed. Rollin dans la Monogarphie de Viuz-en-Sallaz !
Et à y regarder de plus près on découvre que le propre frère de notre fameux Claude Pellet dit Langlais (1742-1789) était Joseph Pellet dit le Parisien !!!
Il ne faut pas imaginer ces ancêtres comme de simples colporteurs de l’imagerie populaire.
L’acte notarié du 15 avril 1765 (retrouvé grâce à son évocation dans son testament) évoque des sommes importantes, des achats de marchandises chez un ancien de Viuz établi à Mirecourt entre 1763 et 1765, des caisses entreposées. Ce sont plusieurs familles qu’on retrouvent établies dans cette commune.
En effet, entre les années 1670 et 1730, le Duché de Lorraine connaît un grand afflux de populations étrangères. La Lorraine ayant été ravagée par les guerres (la Guerre de Trente Ans), les épidémies (la peste) et les famines au XVIIe siècle, plus de la moitié de la population est décimée et des villages entiers disparaissent ! L’immigration est encouragée d’abord par les occupants français puis par le duc Léopold, qui récupère le pouvoir en 1698. On leur offre une exemption d’impôts pendant 12 ans et la cession des terres et des biens abandonnés ou en déshérence. Léopold supprime la plupart des privilèges des corporations introduisant une liberté du travail qui attire de nombreux artisans et commerçants et notamment des savoyards. Par ailleurs, la Lorraine est un territoire indépendant et souverain entre le Royaume de France et le Saint Empire Germanique, les villes de garnison y sont nombreuses, c’est toujours bon pour le commerce ! La barrière douanière entre la France et la Lorraine étant moindre, le transit des marchandises, devient plus intéressant pour les pays ayant une frontière avec le Duché, où se développe donc un commerce d’entrepôts et de redistribution. De plus après la révocation de l’Edit de Nantes, il faut éviter le repeuplement de cet état indépendant par des protestants et les Savoyards vont donc contribuer à la reconquête religieuse du Duché de Lorraine. La moitié de ces migrants sont des marchands !
Claude Pellet dit Langlais (1742-1789) est absent du tabellion de Viuz jusqu’à cette année 1765 où il passe 2 actes en mars et avril 1765. Il a 23 ans et faisait donc des achats à Mirecourt depuis au moins ses 21 ans. Il n’agit à nouveau plus à Viuz avant l’année de son mariage en 1769. Il continue peut-être à voyager de façon saisonnière entre 1772 et 1779 car on ne trouve aucun acte le concernant. Ensuite il est régulièrement présent dans les actes notariés jusqu’à son décès. Il a dû alors rester définitivement au village. Sans doute est-il allé jusqu’en Angleterre faire des achats, peut-être de cette “droguet d’Angleterre” qu’on retrouve dans les actes notariés de Viuz-en-Sallaz ? Le “droguet d’Angleterre” était une étoffe de manufacture destinée au commerce. Produit d’importation, il coutait cher mais était renommé.
Il avait dû partir avec son frère Pierre Pellet qui décède à l’Hôpital Civil de Mirecourt le 15 juillet 1760 à l’âge de 23 ans.
Dans la capitation espagnole réalisée en 1743 à Viuz-en-Sallaz, on rencontre nombre de jeunes gens partis au loin:
- 1 Decurgier de 22 ans qui commerce à Lyon avec son oncle
- 2 Nanjod frères de 12 et 20 ans commerçant en Allemagne
- 1 Cheneval de 19 ans commerçant en Allemagne
- 1 Thevenod de 19 ans valet en Allemagne
- 1 Gaillard de 12 ans valet en Allemagne
- 3 Gaillard frères de 28, 23 et 18 ans négociants en Lorraine
- 1 Gaillard Pallud de 16 ans négociant en Lorraine
- 1 Gavard de 24 ans commerçant en France
- 1 Sommeiller de 18 ans absent du pays on ne sait où il est
- 1 Corboz de 25 ans commerçant en Allemagne
- 1 Gavillet de 23 valet hors du pays
- 1 Roulin de 30 ans commerçant en Allemagne
- 1 Liaupoz de 12 ans absent du pays on ne sait où il est
- 2 Grange de 10 et 8 ans absents du pays
C’était déjà le cas dans la Consigne des Mâles de 1726 et encore dans la Gabelle du Sel de 1561 ! On a dû mal à s’imaginer ce que pouvait être cette vie faite de voyages plus ou moins lointains avec les transports de l’époque, les moyens de communication avec le village d’origine…
Cet article passionnant nous confirme que nos ancêtres ne craignaient pas de se déplacer, Mais ceux-ci voyagent particulièrement loin. Garder la trace d’un pays lointain dans le patronyme, ce n’est pas banal !
Merci 🙂