Ce mois-ci, le sujet du Généathème est Les histoires d’amour finissent mal. Mon récit d’aujourd’hui va donc être sanglant !
29 octobre 1867, Pavant, un petit village de l’Aisne, aux portes de la Champagne… Un groupe d’enfants est parti faire un tour vers le bois du Hatois comme ils aiment si bien le faire, après avoir aidé leurs parents aux champs et dans les vignes. Le petit Landry aurait bien aimé les suivre mais il est trop jeune. Les ados le moque, qu’auraient-ils bien pu faire de ce bébé de 3 ans ! Ils rient, chahutent, se racontent des histoires… Il fait beau et l’après-midi est déjà bien avancé. Ils aperçoivent un homme endormi près d’un arbre, ils s’éloignent sans le réveiller. Il commence à être tard, il est l’heure de rentrer.
Une autre belle journée s’annonce, les ados se retrouvent. Jean-Auguste va bientôt fêter ses 19 ans, il est presque un homme, il a pris le petit Landry sur ses épaules. Après tout son neveu peut bien les accompagner ! Et puis, ce petit coquin pourrait l’aider à épater sa cousine Émilie ! Elle n’a que 14 ans mais elle est belle à couper le souffle ! Et elle le sait la chipie ! Le groupe se dirige à nouveau vers le bois des du Hatois, c’est leur terrain de jeu préféré. Personne ne vient les y embêter !
“Tiens il dort encore celui-là ! C’est étrange !” Gus tient solidement Landry sur ses épaules et s’approche de l’homme. Il est arrêté dans son élan par une odeur nauséabonde et une nuée d’insectes ! Il recule précipitamment, trébuche et s’écroule lourdement sur le sol. Le petit Landry chouine, il s’est fait mal à la tête. Émilie prend le bambin dans les bras pour le cajoler tandis que les autres viennent l’entourer et rient de sa maladresse jusqu’à ce qu’Armantine, la sœur d’Émilie, se mette à hurler. Alors tout le groupe se tourne vers l’homme assoupi. Un grand silence se fait. Non il ne dort pas comme ils l’avaient tous cru hier déjà ! C’est l’Auguste ! Il a tout le haut de la tête broyé et quelques insectes volettent au-dessus de l’ouverture béante. Le groupe se sauve vers le village, les uns trébuchant, les autres courant comme jamais. Pris de panique, ils déboulent dans le village en appelant à l’aide.
Quelques adultes accourent. Qu’ont-ils encore inventé tous ces jeunes ? Tous parlent en même temps mais des mots reviennent sans cesse, mort, tête, l’Auguste. Qu’a-t-il encore fait celui-là ? Décidément ce Louis Auguste Rahault n’arrête pas de faire parler de lui ! À peine sorti de prison après avoir battu sa femme comme plâtre, le voilà à nouveau au cœur d’une sale affaire… De plus en plus de monde entoure les ados et le maire de Pavant, François Frédéric Monnoyer, finit par arriver. Il prend les choses en main et avec quelques hommes, il se dirige vers l’endroit désigné par le groupe affolé.
Il se demande bien ce que cet ivrogne d’Auguste a bien pu encore faire ! Il n’a pas bien compris s’il a fini par assassiner quelqu’un – sa femme peut-être ! – ou si c’est lui qui est mort ! Mais arrivé sur place, il n’y aucun doute à avoir, là devant lui gît le corps de l’Auguste assassiné à n’en pas douter. Toute sa tête est écrasée, l’os de sa mâchoire inférieure semble même à moitié arraché. Le maire envoie quérir le docteur Franche et la justice. Quelle affaire !
Il a bien sa petite idée, mais c’est à la justice de faire son travail. Enfin s’il peut aider en racontant ce qu’il sait, il ne s’en privera pas. Ça serait un coup du Grand Cochon que ça ne l’étonnerait pas. Il fricote avec la femme de l’Auguste depuis qu’il est parti en prison, tout le monde le sait. D’ailleurs ils buvaient ensemble en début de semaine, ils en ont descendu des verres ! C’était fort étrange en y réfléchissant bien !
Quand le brigadier de la gendarmerie de Charly arrive, l’enquête est vite menée. Il ne fait aucun doute que le meurtre n’a pas été commis sur place, il n’y a pas de sang. Et en y regardant de près, on découvre vite des traces qui font penser que le corps a été déposé là après avoir été amené en brouette. Les soupçons se dirigent rapidement sur son épouse Marie Louise Nouveau, une femme plutôt laide en vérité et peu attirante. Dans la chambre, on découvre des traces de sang qu’on a tâché de faire disparaitre. Il semble bien que c’est dans son lit que l’Auguste est mort. Les investigations se poursuivent aux environs et on retrouve de nombreuses traces de sang au Rû du Champ-Renard où le corps a dû séjourner avant d’être déplacé plus loin au Rû de la Belle-Mère où les enfants ont fait la découverte macabre. Le maire raconte alors les relations illicites qu’entretient la femme avec un sien cousin, François Alexandre Rahault.
Ils passent vite aux aveux. Ils sont tous deux arrêtés et écroués à la prison de Château-Thierry. Leur récit est des plus édifiants. François Alexandre Rahault raconte sans aucun remord comment ils ont orchestré le meurtre du mari de sa cousine pour se débarrasser de lui. Le lundi 21 octobre, il l’a fait boire plus que de raison et le soir-même, vers 22 heures, il s’est présenté chez lui après avoir ramassé un pic dans le cellier voisin. Sa femme l’a fait entrer et s’est absentée le temps qu’il règle son affaire au mari violent. Il lui a fracassé la tête dans son sommeil réduisant ses os en miettes puis avec l’aide de sa complice l’a habillé et il a emporté le cadavre pendant qu’elle a lavé les draps. Puis craignant que le corps soit trouvé trop vite, il l’a déplacé et a emporté les tissus souillés de sang chez lui, ceux-là mêmes qui ont été retrouvés depuis, l’accablant.
Le meurtrier ne s’est pas repenti, bien au contraire, il a répété à l’envie qu’il recommencerait si c’était à refaire. Il n’a pas non plus épargné sa complice affirmant qu’elle tenait la chandelle dans la préparation du crime. Elle n’avait de cesse de le pousser au crime de peur que son mari violent ne découvre sa grossesse fruit de son commerce adultère. Son avocat a essayé d’amoindrir ses fautes en la chargeant mais cet homme a été condamné à la peine capitale et à 12 000 francs d’amendes pour les petits orphelins : deux garçons de 10 et 6 ans et une petite fille de 3 ans.
Marie Louise Nouveau n’a jamais reconnu avoir prémédité le meurtre de son mari Louis Auguste Rahault. Son avocat a demandé les circonstances atténuantes pour elle qui subissait les mauvais traitements de son mari violent, brutal et ivrogne. Elle les a obtenues et a été condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Sans doute ces circonstances atténuantes sont-elles les maltraitances qu’elle subissait de la part de son violent époux, qu’elle avait d’ailleurs épousé contre l’avis de sa famille. Elle se serait écriée au moment du jugement “Je préférerais la mort !” Elle a accouché d’une petite fille déclarée légitime de son défunt mari le 7 juin 1868 à la prison de Clermont dans l’Oise : Marie Claudine Rahault. Mais l’histoire dit qu’elle est la fille de son amant… Au moment des faits, elle était donc enceinte de deux mois. Elle meurt en 1893 à Beauvais. Elle est alors devenue infirmière à l’Hôtel-Dieu. Son passage au bagne de Clermont dans l’Oise devait être à perpétuité. Elle y était en tout cas de 1867 à 1880 (année de la mort de son plus jeune fils).
Au cours du XIXe siècle, ce bagne pour femmes a accueilli ou plutôt enfermé les grandes criminelles passées par les cours d’assises de la région parisienne. Étrangleuses, infanticides, incendiaires, « professionnelles du meurtre, goules immondes », folles, homicides sournoises, illettrées ou éduquées, à l’air doux ou méchant, au corps séduisant ou difforme : un ramassis de femmes dont les crimes abjects faisaient trembler jusque dans les plus modestes logements ; mais aussi reines malsaines des faits divers, quand elles s’appellent Gabrielle Fenayrou (complice de l’assassinat de son amant par son mari en 1882) ou Gabrielle Bompard.
ARTICLE – Au bagne des femmes (Clermont-de-l’Oise) par Irène Chauvy
Louise Michel qui y fit un passage en 1883 en dit : « La première nuit dans une cellule a quelque chose d’affreux, on se dit c’est ici que je dois vivre tant de mois, tant d’années, séparée du reste des vivants. Et l’on a l’impression d’avoir été enterrée vivante… L’air vous manque… on étouffe… Il semble que les murs se resserrent peu à peu… que le plafond s’abaisse lentement… »
François Alexandre Rahault ne fut pas exécuté à Laon comme prévu par le jugement. Les jurés avaient signé une demande en commutation de peine en sa faveur. Et le 21 janvier 1868 sa peine avait été commuée en travaux forcés à perpétuité après que son pourvoi en cassation ait été rejeté le 16. Chiourme au bagne de Toulon, il a été détaché de la chaine le 10 mai 1869 pour être embarqué sur la frégate l’Alceste à destination de la Nouvelle-Calédonie. Il finit sa vie à l’Île de Nou (Nouméa) où il meurt le 16 juin 1892.
Sources :
- Journaux d’époque sur RetroNews et en particulier Le Droit.
- Article de blog ici
- Au Bagne des femmes de Paul de Semant et de Camille Gramaccini (huit ans, directeur de la Maison centrale de Clermont) Éditions Flammarion, 1907
Le petit Landry est le grand-père paternel de mon grand-père maternel : Noël Landry Rahault (1863-1907), dont j’ai déjà parlé ici. Son oncle Jean Auguste Rahault (1848-1909) épousa Marie Léontine Rahault dite Emilie (1853-1939), une cousine issue de germain. Elle avait une sœur ainée, Armantine Adolphine Nathalie Rahault (1851-1916). Je n’ai aucune preuve qu’ils aient été confrontés au cadavre de leur lointain cousin. Je sais simplement que ce sont des enfants qui l’ont découvert. J’ai ici un peu brodé…
La victime, Louis Auguste Rahault, et sa femme étaient cousins au 6e degré, Marie Louise Nouveau et son complice étaient cousins au 4e degré, la victime et son meurtrier étaient cousins au 6e degré. Tous étaient apparentés par différentes familles (Rahault, Nouveau, Péricard, Marquis,… ) ainsi qu’avec mes ancêtres mais de façon plus lointaine malgré la communauté du nom de famille. Leur ancêtre commun Rahault vivait à la fin du XVIe siècle.
Récit truculent…