Rien n’avance comme ils le souhaitent alors, le 18 novembre 1697, vers 14 heures, Hector Montanier et son frère François Montanier se rendent chez leur mère Jacqueline Bojat. Hector attache son cheval à un arbre du verger de sa mère et François attache son cheval noir à un pilier dans la cour de la maison puis ils entrent dans celle-ci. Hector a son manteau sur ses épaules et deux pistolets sous le bras, tout comme son frère. Ils viennent réclamer leur part du blé en conformité avec une ordonnance de justice.
Évidemment, les frères affirment être restés courtois tandis que leur mère les accusent de violences verbales et physiques ainsi que de destruction et vol.
Ses fils seraient entrés armes au point, l’auraient traitée de « putain, bougresse, maquerelle, vérolée et carogne ». Ensuite de quoi ils se seraient attaqué à deux coffres à l’aide d’une hache tout en la réduisant au silence en la jetant au sol, en lui donnant des coups de pieds dans l’estomac et en lui couvrant la bouche d’une main ! Ils se seraient acharnés sur un justaucorps et une veste de son mari accrochés à proximité. Puis ils auraient emporté sur leurs chevaux quantité de linges, ses meilleurs papiers et ceux restant de son défunt mari, père de ses fils, et 200 louis d’or ainsi qu’une bague enchâssée d’un diamant valant 7 à 8 pistoles. Ils l’auraient également menacée de la brûler dans sa maison !
Tellement choquée, la pauvre femme s’est alitée comme moribonde ! Un chirurgien de Chaumont vient constater son état le lendemain 19 novembre. Il déclare qu’elle est « au lit couchée avec des suffocations de matrice, avec son pouls plus élevé qu’à l’ordinaire » mais il affirme que cela ne suffit pas pour la faire aliter…
Ce constat sera transmis avec la requête déposée par son mari Jacques Eudé contre ses fils le 22 novembre suivant.
Le clerc juré et substitut au greffe criminel Jean Jance constate en arrivant que Jacqueline Bojat demande justice, en pleurant, du vol et des maltraitances commis par ses fils. Il constate les dégâts et en rédige le verbal en plus de la déposition des témoins le 27 novembre. L’information a commencé dès le 25 novembre avec la prise des témoignages des témoins à charge après la lecture de la requête déposée :
- Françoise Bovagne, fille de feu Claude dit Lésier, de Quincy à Clarafond, âgée de 18 ans et servante du couple depuis 2 mois dit qu’en revenant de faire la lessive vers 14 heures elle a vu un cheval attaché à un pilier de la maison et a entendu un grand bruit à l’intérieur. Elle est entrée et a trouvé sa maitresse en pleurs dans la salle qui lui a demandé d’aller appeler des gens. Elle a rangé la lessive dans la cuisine et a été empêchée de sortir par Hector Montanier. François Montanier est alors survenu avec une hache à la main et en a donné un coup dans une garderobe mais son frère lui a crié « frère il n’y a rien là ! ». Ils sont alors entrés dans le poêle pistolets en main injuriant leur mère et lui disant « vous ne voulez rien nous laisser ». François Montanier a alors enfoncé avec la hache le dessus d’un coffre en noyer présent au pied du lit pressé d’en finir par son frère Hector pendant que leur mère pleurait et avait été rejetée derrière le fameux coffre qu’ils ont mis sans dessus dessous. Ils y ont pris quantité de choses dont une besace pleine de papiers puis se sont attaqué à un autre coffre derrière le lit dont ils ont tiré d’autres effets. Ils ont abimé un justaucorps et une veste pendus à un râtelier de fusil. Ils sont ensuite partis sans oublier d’ajouter que ledit Eudé était un « bougre » et qu’il « passerait tôt ou tard par leurs mains ». Elle pense qu’ils ont dû réduire leur mère au silence car elle ne l’entendait plus pendant qu’elle criait à la fenêtre et en sortant de derrière le coffre elle ne pouvait plus souffler.
- Claudine Cheveron, fille de Claude laboureur de Chessenaz, âgée de 10 ans dit qu’elle était dans un pré au dessous de ladite maison à garder du bétail de Me Veyrat et qu’elle a entendu grand bruit dans la maison puis a vu entre 14 et 15 heures François Montanier qui partait à cheval sa mère criant à l’arme.
- Cathelin Arbé, fils de Nicolas, de Bossy, âgé de 18 ans et valet du couple depuis 8 mois dit qu’il était dans un pré du couple à garder du bétail quand il a entendu sa maitresse crier à l’arme et au secours. Il est allé près d’un ruisseau chercher une femme pour porter secours et en arrivant ils ont trouvé les portes fermées et ont entendu des coups portés contre du bois ou des coffres pendant que sa maitresse criait miséricorde. Il s’en est alors retourné garder le bétail. Plus tard François Montanier l’a rejoint à cheval transportant linges et papiers pour lui demander « bougre où est-ce que ton maitre est allé, dis-le moi ou je te donnerai un coup de pistolet » (qu’il tenait à la main). Jacqueline Bojat criait au voleur et son fils a ajouté qu’elle est « une putain et une carogne ». Il est ensuite entré dans la maison et a trouvé deux coffres de noyers brisés, du linge et des papiers éparpillés dessous. Sa maitresse lui a dit que son mari était allé à Annecy puis Chambéry.
- Anthoine Juard, veuve de Claude Bovagne le Grand laboureur de Mossy, âgée de 84 ans dit qu’elle faisait de la lessive pour la femme Eudé à un ruisseau quand son valet est venu la quérir lui disant que sa maitresse criait dans sa maison. Surprise, elle l’a suivi et a trouvé les portes fermées sans possibilité de les ouvrir. Jacqueline Bojat criait au secours et à l’arme alors elle retournée au ruisseau demander aux bergers de prendre garde de la lessive puis est retournée à la maison où elle a trouvé la femme effrayée et moribonde sans pouvoir parler. Ensuite de quoi elle lui a expliqué que ses fils l’ont maltraitée et ont volé tout ce qu’elle a et elle a été contrainte de leur demander la vie. Elle a remarqué que deux coffres sont brisés et que du linge et des papiers sont par terre ce qu’elle n’avait pas vu lors de son diner, sa fille y étant servante.
- Honorable Perrine Mermoud, veuve d’honorable Marin Donnat, de Chaumont, âgée de 40 ans dit qu’elle a vu une veuve venir chercher la femme de Me Veyrat pour voir le désordre causé chez elle par ses fils. Comme la femme en question n’a pu y aller, c’est elle qui s’y est rendue et elle a trouvé la femme Eudé près du feu toute tremblante et effarouchée sans pouvoir parler. Puis elle lui a avoué que ses enfants l’ont maltraitée, lui ont fermé la bouche et l’ont obligée à demander pardon plusieurs fois. Ils ont enfoncé deux coffres en noyer fermant à clé et des linges et papiers sont éparpillés au sol. Elle a essayé de consoler la femme Eudé qui est âgée.
Les quatre jours de vacations à cheval pour cette information coute 78 florins à Jacques Eudé.
Le 3 décembre 1697, le substitut du procureur général demande que les frères Montanier soient convoqués pour être entendus. Le Sénat ordonne cet ajournement le 5 décembre 1697. Hector Montanier est informé chez lui le 9 décembre de se présenter le 14 à Chambéry et François Montanier est informé aussi chez lui le 14 de se présenter le 18.
Mais ils sont semble-t-il emprisonnés dès le 10 décembre puisqu’ils demandent leur élargissement.
À suivre…



