Depuis quelques temps, je travaille sur ma branche lozérienne qui s’entrecroise avec celle de mon mari. Il était tard, cela faisait plusieurs heures que je scrutais attentivement chaque page. J’épluchais donc les registres notariés quand j’ai eu le traditionnel éblouissement. Bien sûr je savais ce qui m’arrivait, ce n’était pas la première fois.

J’ai ouvert les yeux et tout avait changé autour de moi. Je me trouvais dans une habitation, un peu cossue. Vu ce qui m’entourait je pense que j’étais au XVIIe siècle. C’est un mouvement sur le côté qui a attiré mon attention. Un jeune garçon, une plume à la main, m’observait. Il m’a alors adressé la parole : “Je ne sais pas qui vous êtes, mais si vous cherchez mon père, il va rentrer tard, il a été appelé par un client. “

Je me voyais mal lui répondre je n’avais pas la moindre idée d’où je me trouvais ni de l’identité du garçon et de son père ! Alors, il a enchainé :

“Je m’appelle Jehan. J’ai du travail, mon père m’a donné ces actes que vous voyez à rédiger. Notez que je ne me plains pas, je vais devenir notaire comme mon père. Je travaille dur ! Mais une petite pause ne me fera pas de mal ! En fait, je suis assez excité. Je vais partir dans trois jours.

– Partir ? ai-je demandé. Il fallait bien l’encourager à continuer pour en apprendre plus. Et il ne s’est pas fait prier. Il m’avait tout l’air d’être bien bavard ce petit jeune homme. Allez, je lui donnais une dizaine d’années, pas plus.

– Oui, je pars au collège lundi ! Au Puy ! Vous vous rendez compte ? Quelle aventure ! Je suis tellement pressé ! Mais il faut que je finisse mon travail sinon Père ne sera pas fier de moi. Cela ne vous dérange pas si je continue ?

– Non, non…” l’ai-je rassuré.

Il s’est alors remis à l’écriture. Mais il n’a pas pu s’empêcher de parler, un vrai moulin à paroles ! Il m’a raconté qu’il était le seul garçon de sa famille mais avait plusieurs sœurs, dont une déjà mariée, et qu’il allait succéder un jour à son père. Il aura bientôt 11 ans, le dimanche de Pentecôte prochain.

Notre petit Jehan est donc déjà clerc de son père, il copie les actes et apprend son métier par la pratique. Le jour où il succèdera à son père, il devra avoir 25 ans et obtenir une provision d’office du roi. Il n’y a pas de réelle formation, c’est la pratique qui fait le notaire. La formation commence par de longues pages de copies de formules notariales. Après son passage au collège, où son père l’envoie pour approfondir ses connaissances, il deviendra praticien puis un jour notaire royal à son tour si tout se passe bien.

L’après-midi s’est écoulé tranquillement. Lui qui me raconte des anecdotes amusantes et moi qui l’écoute. Nous avons fini par entendre du bruit à l’extérieur, la porte s’est ouverte, un rayon de soleil m’a éblouie. J’ai cligné des yeux plusieurs fois et… je me suis retrouvée chez moi, devant mon ordinateur.

Sous mes yeux, une page de notaire. Rien n’avait changé et pourtant…

J’ai tourné la page virtuellement et je suis arrivée sur cette petite note barrée. J’aurais pu l’ignorer mais non. Je l’ai lue et ohhhhhhhh ! Je vous laisse la découvrir !

Registre notarié de Me Roffiac à Saint-Alban-sur-Limagnole (A.D. de la Lozère)

Moy Jehan Roffiac filz a Me Gabriel notaire hereditayre
dud. St Alban suit party de ceste ville pour aller au
Colliege de Messieurs les Jesuistes au puy le lundy
huictiesme jour du mois de may mil six centz et
unze moy estant seullement daige de unze ans le
dimenche de la penthecoste prochayne. Je prie a dieu
moy faire la Grace de y bien emploier mon temps a lhonneur
de Dieu contentement de mondict paire et a mon
proffict

Il a vraiment une belle petite écriture ! Il part donc au Puy le 8 mai 1611 et il doit être né le 21 mai 1600. Ses parents sont le notaire Gabriel Roffiac et Anne Blanquet qui est la deuxième épouse de son père.

Il va étudier le latin, les grands auteurs latins et éventuellement grecs. Le programme est progressif, les élèves sont regroupés par niveaux de connaissances dans des « classes » avec un rythme scolaire (variété et succession des matières et des apprentissages) :

  • 6e à 3e : classes de grammaire pour y apprendre à lire, à écrire et à parler le latin, et souvent le grec (on y étudiait secondairement les sciences)
  • 2de : classe d’humanités pour y étudier plus spécifiquement la littérature (latine et grecque), pour comprendre ce que c’est que l’homme, l’humanité, la culture (la nouvelle culture « humaniste »).
  • 1ère : classe de rhétorique pour s’entraîner plus spécifiquement à l’expression orale et écrite, à l’école des grands maîtres de la prose, de la poésie et de l’éloquence de l’Antiquité.
  • enseignement supérieur : philosophie et théologie.

Un aspect pédagogique d’importance est l’utilisation de « méthodes actives ».

La part de l’enseignement magistral était très réduite. Sur les cinq heures du temps de classe quotidien, la leçon magistrale n’occupait, en principe, qu’une demi-heure le matin et autant l’après-midi ! La plus grande partie de l’horaire (très morcelé pour tenir compte de la capacité d’attention des élèves) était consacrée à l’exercice. Exercices de mémorisation des leçons (déclinaisons, conjugaisons, règles de grammaires, textes littéraires à apprendre par cœur) ; exercices d’application et de mise en œuvre : versions, thèmes, imitations, inventions de récits et de discours, transposition de poésie en prose et inversement, etc. Les élèves se faisaient mutuellement réciter leurs leçons et se corrigeaient mutuellement leurs exercices.

Source

Jehan Roffiac va être noté (système importé de Chine par les Jésuites), récompensé et, n’espérons pas, corrigé ! Il fera partie de l’élite laïque qui aura à jouer un rôle d’influence dans son époque qui vient de connaitre de grands troubles religieux.

« Veüe d’une partie du collège du Puy et de l’église de Nôtre Dame ». Reproduction d’une affiche d’Étienne Martellange du 27 février 1617 (5 Fi Le Puy 31/8). Source

Le collège a ouvert en 1588 et accueille dès la première année cinq cent élèves sans compter un certain nombre d’enfants pauvres, boursiers des consuls. À l’époque de l’arrivée de Jehan Roffiac, les étudiants sont aux alentours de 800. Le collège n’a pas d’internat, les élèves sont donc accueillis dans des pensions aux alentours.

Au fil du temps, le Collège devient le plus important lieu d’enseignement de toute la région correspondant aujourd’hui au département de la HauteLoire mais aussi de la Lozère et de la Loire.

Remarquons que le Collège existe encore sous le nom Collège La Fayette (CLIC) :


Qui est vraiment Jehan Roffiac ? Un ancêtre de la 14e génération de mes enfants et le frère d’une double ancêtre, Catherine Rouffiac (ca 1595-<1640), tous de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère).

Il s’est marié une première fois vers 1619 avec une bâtarde Gillette de Calvisson dont il a eu une fille en 1620 qui n’a pas vécu puis une deuxième fois avant 1622 avec Anne Cayla, de Saint-Chély-d’Apcher. Il a testé plusieurs fois et son dernier codicille semble être celui de septembre 1662.

Je n’ai pas encore d’informations sur son père Gabriel Roffiac en dehors de son exercice de notaire. Par contre, je connais ses grands-parents maternels et les parents de sa grand-mère dont le père était aussi notaire. Et une sœur de cette grand-mère est aussi une double ancêtre de mes enfants à la 16e génération. Voici ce que cela donne dans un petit schéma généalogique :

Un commentaire

  1. Très joli article, très plaisant et très instructif, merci !

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