Z : les terminaisons en -z

Qui a fait des recherches en Savoie a rencontré ces fameuses terminaisons en -z. D’où viennent-elles ?

Remontons à l’époque de la conquête romaine. Les peuples celtes sont progressivement romanisés et leurs langues s’effacent petit à petit devant le latin qui va devenir la langue parlée de tous mais avec une multitudes de variantes locales. C’est ainsi que les patois sont nés, ils ne gardent que peu de trace des langues celtes ou même germaniques. Les Burgondes et les Francs n’ont quasiment pas été influencé la grammaire ou la prononciation. Ils n’ont laissé que quelques toponymes d’influence germanique, avec le suffixe -inges propre à la Savoie du nord par exemple, comme le  lieux-dit d’origine de mes ancêtres Pellet-Langlais : Boisinges.

La latinisation des Gaules forme un ensemble que l’on désigne par le mot gallo-roman avec au sud l’occitan ou langue d’oc qui est la plus proche du latin, au nord la langue d’oïl qui est plus éloignée et influencée par les langues germaniques. Autour de Lyon-Genêve, l’influence germanique est quasi inexistante, c’est le « francoprovençal ».

Langues

Ce n’est pas tout à fait du français et pas du tout du provençal ! Ce qui le différencie des patois d’oïl, c’est surtout la prononciation des mots. En langue d’oïl l’accent porte sur la dernière voyelle prononcée. Dans les patois francoprovençaux, l’accent de mot peut porter soit sur la dernière voyelle prononcée, soit sur l’avant-dernière. Les formes verbales monta, porta sont des impératifs pluriels qui signifient «montez», «portez» ; tandis que monta, porta avec voyelle inaccentuée finale sont des singuliers «monte», «porte». La place de l’accent est assez importante pour exprimer une catégorie grammaticale comme le nombre ! Dans tous les domaines romans, de Lisbonne à Bucarest, les continuateurs des noms et adjectifs féminins qui se déclinaient sur ROSA ne forment qu’une série grammaticale ; en francoprovençal et donc en savoyard, ces mots forment deux séries : féna «femme» ne finit pas comme filyi «fille» ; shévra «chèvre» ne finit pas comme vashi «vache». Ces mots féminins sont très nombreux et ils marquent fortement une langue. Dans tous les domaines romans, de Lisbonne à Bucarest, les continuateurs des verbes qui avaient en latin un infinitif en -ARE ne forment qu’une conjugaison ; en francoprovençal et donc en savoyard, ces verbes se conjuguent de deux façons différentes : à l’infinitif, on trouve d’une part les verbes montâ, portâ, lavâ, «monter», «porter», «laver» et d’autre part les verbes midzi, séyi, mâlyi, «manger», «faucher», «tordre». Ces verbes constituent un très grand pourcentage des formes verbales d’une langue romane et marquent donc fortement une langue qui a sur ce point une particularité propre. (d’après Comment parlaient et écrivaient les Savoyards au cours des siècles).

Pour avoir plus de précisions sur les différences de prononciations, il y a aussi cette adresse : >CLIC<

Quel rapport me direz-vous avec les terminaisons en -z ? Nous y arrivons !

Au XIVe siècle, le Comte Vert Amédée VI a imposé à son secrétariat l’usage du français, plus compréhensible pour lui qui parlait le patois savoyard, que le latin des clercs. La langue du Roi était alors la seule langue ayant des règles et utilisée sur un vaste territoire, de plus elle n’était pas si éloignée des patois savoyards. Les familles aristocratiques et bourgeoises des professions juridiques ont adopté le français comme langue domestique avec engouement mais sans pour autant abandonner le patois nécessaire à la communication avec l’ensemble de la population. Dans les deux siècles suivants, l’ensemble des savoyards se mettent à comprendre le français sans le parler puis ils deviennent bilingues. L’Église y a joué un grand rôle en utilisant le français. Par ailleurs, lors de la promulgation de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la Savoie est occupée et gérée par la France. Le français devient donc la langue officielle. Le duc de Savoie, Emmanuel Philibert, par lettres patentes de 1561, impose le toscan au Piémont et le français à la Vallée d’Aoste, à la Savoie et à la Vallée de Barcelonnette.

Aujourd’hui, les toponymes et les patronymes savoyards interpellent très souvent par leur terminaisons en -z mais pas seulement, ce sont les -az, -oz, -uz, -ax, -ex, -ux, -oux, et -ieux qui sautent aux yeux !

En fait, cette orthographe est née du souci de distinguer la prononciation du patois de celle du latin et du français. Dès le XIVe siècle, voire avant, des clercs se sont mis à utiliser les consonnes « inutiles » de l’alphabet latin (x et z) pour signaler ces différences. Ce n’est pas plus bizarre que le z de chez ou le x de chevaux en français !

Le -z fut donc choisi pour marquer la valeur de la voyelle finale, pour signaler qu’elle est inaccentuée. La voyelle se prononce presque comme un e muet, mais en marquant légèrement le son a, o ou u, et l’accent porte sur la syllabe qui précède.

Mermoz se prononce donc Merme, en marquant très légèrement le o. Lorsque le z final suit un groupe de voyelles tel io ou ia (Marlioz, Verniaz…), ce groupe de voyelles doit être presque atone et mouillé, comme en français le n précédé d’un g est mouillé dans le mot Bretagne. Orthographié façon Savoie, il s’écrirait Bretaniaz. Ce système permet de mouiller toutes les consonnes, ce que ne permet pas le français. Un dernier exemple avec Jorioz, qui se prononce Jo-R-Ye avec accentuation sur le Jor. Et on voit là que notre graphie peut être intraduisible en français car, si l’on remplace ioz par ie, cela donne Jorie (prononcer Jory), ce qui n’est pas du tout la même chose.

Henri Denarié
La Voix des Alloborges n°13, 2007.

Mais ce n’est pas si simple, car des contre-exemples font penser qu’il y a dû y avoir une mode du -z (présent dès le Moyen Âge) pour simplifier ou uniformiser l’écriture au XVIe siècle.

Par contre, si la voyelle finale est accentuée, on met un x ! En outre, le e se prononce é (ex: Bex se prononce Bé, Excenevex se prononce Excenevé). D’ailleurs, on peut noter qu’il existe aussi des terminaisons en ez en français qui se prononcent é par exemple nez, assez, vous prononcez… Certaines communes ne souhaitant plus voir leur nom écorché ont demandé le changement d’orthographe : Argonnnex est devenue en 1971 Argonay. Mais s’écrit toujours Gex, Chamoni reste écrit Chamonix, etc.

 

 

Essayons de tenir compte de ces particularités quand nous parlons de nos ancêtres et de leurs villages. Et si jamais cela semble difficile cette petite citation servira à le remémorer : on ne prononce ni Bordeauxe, ni Monoprixe et on ne se met pas le doigt dans le néze !

La difficulté de compréhension de ces particularités vient du fait qu’il n’existe pas en français d’accent tonique comme il en existe en savoyard, en italien, en anglais ou dans d’autres langues. Mais en français, le e placé à la fin des mots est muet s’il n’est pas accentué, si l’on veut le son é, il faut mettre un accent. Si cela vous captive, un autre article complet avec plus d’aspects du patois savoyard est disponible ICI.

 


Voilà, le ChallengeAZ 2019 se termine et j’y ai pris grand plaisir à développer les spécificités savoyardes qui peuvent aider les généalogistes.

J’espère, amis lecteurs, que vous aurez aussi découvert des sources qui vous aideront à mieux connaitre vos ancêtres, la société dans laquelle ils évoluaient, la langue qu’ils parlaient…

 

 

8 commentaires

  1. Ce billet bouscule mes certitudes, je vais entendre différemment les patronymes de nos branches savoyardes.

  2. Article vraiment très intéressant. Donc quand on entend dire que le z final des noms de villes savoyardes ne se prononce pas, ce n’est que partiellement vrai. J’ai appris beaucoup de choses! Bravo pour ce ChallengeAZ.

  3. Captivant en effet ! Bravo pour ce billet, et plus généralement pour ce challenge. J’y ai appris énormément de choses passionnantes même sans avoir d’ancêtre savoyard.

  4. Autant de billets du #ChallengeAZ autant d’anti-sèches pour qui fait de la généalogie en Savoie

  5. Je me suis sentie comme à la maison en lisant ton ChallengeAZ, je te l’ai déjà dit je crois. C’était un réel plaisir. Maintenant je vais prendre le temps d’explorer ton blog.
    Encore bravo et merci d’expliquer avec autant de clarté aux Français nos particularités savoyardes locales ! 😉
    Mélanie – Murmures d’ancêtres

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