Point de Geai dans mon ascendance, seulement un Paon et sa fille, Robert et Isabeau Paon au XVe siècle.

Aussi pour rédiger cet article, ce n’est pas vers eux que je vais me tourner mais vers la morale de la fable. L’imposture est sanctionnée et c’est celle-ci que je vais présenter.


C’est la famille Tardif qui va faire l’objet de cet article.

Cette famille apparaît dans ma généalogie à la 12e génération avec avec Demoiselle Catherine Tardif femme d’Olivier Police, Seigneur de La Grandcerje, des Cerisis, avocat et procureur en l’élection de Carentan. Elle a dû naitre à Montcuit vers 1665. Elle s’est mariée le 28 octobre 1688 et y est décédée le 2 novembre 1695 après avoir eu deux enfants : Louise Catherine et André Police.

Son père s’appelait François Tardif, il était sieur de la Champagne à Saint-Sauveur-Lendelin, au nord de la paroisse tout près de Vaudrimesnil. On retrouve le lieu sur la carte de Cassini et d’après la légende, il y a un moulin, une tour et des bâtiments. Le hameau existe toujours mais les anciens bâtiments ont disparu ou sont en ruine. Et vous remarquerez le Pont Tardif juste au nord !

Carte de Cassini

François Tardif avait été baptisé à Saint-Sauveur-Lendelin le 10 mai 1633. Il s’est marié avec Demoiselle Jeanne Leconte (1636-1704) et en a eu 11 enfants. Les registres de Montcuit ayant disparu pendant la Seconde Guerre mondiale ce sont quelques anciens relevés par des historiens locaux qui fournissent les dates avant 1683 pour Montcuit.

R.P. de Saint-Sauveur-Lendelin (A.D. de la Manche)

Dans les différents actes il est nommé “noble homme” et “écuyer”. Je l’ai donc cherché dans la Recherche de la Noblesse faite par ordre du Roi Louis XIV en 1666 et années suivantes. Généralité de Caen par Messire Guy Chamillart. Et je l’y ai trouvé mais dans la catégorie des usurpateurs ! Il n’était donc pas officiellement considéré noble, mais il vivait tout comme et se faisait dénommé tel. Quelle implication pour lui ? S’il n’était pas considéré noble, il devait payer l’impôt comme n’importe quel paysan !

Un paon muait : un geai
prit son plumage ;
Puis après se l’accommoda ;
Puis parmi d’autres paons tout fier se panada
(…)

Pourquoi essayait-il de se faire passer pour noble ? Une petite enquête s’impose…

3 Tardif sont condamnés :

  • François Tardif de la paroisse de Vaudrimesnil élection de Carentan, comdamné à une amende de 100 livres le 23 avril 1667, pour motif renvoyer à la taille par Montfaut, condamné par Monsieur de Roissy
  • François Tardif de la paroisse de Montcuit élection de Carentan, comdamné à une amende de 700 livres, le 25 février et le 23 avril 1667
  • Gilles Tardif de la paroisse de Montcuit élection de Carentan, comdamné sans amende le 27 mai 1667.

François est fils de Noble homme Jacques Tardif écuyer seigneur de La Champagne. Il a 3 sœurs nées comme lui à Saint-Sauveur-Lendelin et malheureusement, aucun des 4 baptêmes ne mentionnent la mère des enfants ! Heureusement Mr Deschamps-Vadeville avait fait des recherches avant la disparition des archives et une fiche présente la famille en fournissant une fille supplémentaire née à Vaudrimesnil.

Fonds Deschamps Vadeville (A.D. du Calvados)

Leur mère est donc Judith de Pierres remariée à Jean d’Hérouville, écuyer, Sieur de Saint-Denis-le-Vêtu, en 1637. Ils ont une demi-sœur Marie d’Hérouville, baptisée en 1646 à Périers âgée de 6 ans, dont le parrain est leur oncle Guillaume de Pierres, écuyer, Sieur de La Meslée.

François Tardif a été condamné à une grosse amende mais l’on voit que la famille avait déjà été condamnée par deux fois. Allons voir ces autres recherches de noblesse et d’autres…

Où pourrions-nous trouver leur mention ?

Dans le Rôle de la Noblesse du Grand Baillage du Cotentin de 1640 on ne retrouve évidemment pas Jacques Tardif, sieur de la Champagne qui est décédé en 1635 et son fils François Tardif n’a que 7 ans, il n’y est pas non plus. Son beau-père Jean d’Hérouville est recensé à Saint-Denis-le-Vêtu, dit écuyer, vieil et povre.

Dans les Jugements rendus par les commissaires Etienne d’Aligre et Jean Cardinet pour le régallement des tailles (27 septembre 1634 – 14 mai 1635), Jacques Tardif, Sieur de la Cavée est renseigné et condamné.

Source : 2 MI 500 R 48 – Fonds Le Masle (A.D. du Calvados)

C’est le père de Jacques décédé en 1635 à qui il survit. On sait qu’il est allé en Angleterre pendant la ligue grâce au nobiliaire de Normandie.

En 1624, il y a eu des généalogies baillées à Mrs les commissaires du règlement des tailles de ceux qui se prétendoient nobles en l’élection de Carentan, par M. Paris, intendant de Caen. La fiche Tardif est page 220 et l’on y trouve un arbre généalogique qui affine la famille et montre bien la branche condamnée comme dérogeante en 1599.

Dans la Recherche de la Noblesse de la Généralité de Caen par Mr de Roissy en 1598 et 1599, ce Jacques Tardif fils de Jean avait reconnu être dérogeant.

Qu’est-ce que la dérogeance ? C’est quand des nobles réalisent des actes qui sont incompatibles avec l’état noble, ils en perdent leur noblesse et leurs privilèges. Qu’ont-ils et n’ont-ils pas le droit de faire ? Ils peuvent exploiter eux-mêmes et pour leur compte les terres et autres immeubles de leur domaine (la réserve seigneuriale) pour leur consommation personnelle, et ont l’obligation de concéder sous forme de censive le domaine utile (terres, bâtiments, moulins, bacs, pêcheries, etc.). Les seuls emplois autorisés sont les activités de verrerie, de métallurgie, de mine, de manufacture, d’armement maritime et de négoce international, les offices royaux supérieurs parfois ecclésiastiques ou municipaux.

Ils ne peuvent exercer de professions subordonnées ou lucratives, comme celle de domestique, métayer, fermier, commis dans le commerce ou l’industrie, laboureur, les métiers marchands, les arts mécaniques (chirurgien, apothicaire, orfèvre), les activités du bâtiment et de la bouche, les offices de judicature subalternes, les collecteurs et receveurs des tailles et autres impôts, changeurs et banquiers.

Recherche de Roissy 1598-1599

Que faisait Jacques Tardif ? C’est encore un mystère pour moi. Et ses fils ? Mais ce qui est sûr c’est qu’il avait obtenu une lettre de relief de noblesse qu’il a malheureusement omis d’entériner !

Une lettre de relief de noblesse était une lettre du roi qui relevait son bénéficiaire du fait d’avoir dérogé ou du fait de la dérogeance de ses ancêtres et rendait donc sa noblesse à son bénéficiaire.

En 1567, lors du Rôle du ban et de l’arrière-ban du bailliage de Cotentin, le Sieur de La Rochelle Tardif est cotisé et taxé à 50 sols tournois. La famille est donc bien noble et il doit s’agir d’un fils de Philippe le grand-père de Jacques.

En 1512, à la montre d’armes de la Hogue, du Boscq, on retrouve la famille (clic ).

Une montre d’armes est assemblement à la demande du roi des nobles d’une région en tenue de guerre afin de savoir de combien d’hommes de guerre, de troupes, de soldats, le Roi aller pouvoir compter. À cette date, il pourrait bien s’agir de la préparation de la guerre que François Ier allait faire en Italie.

On y trouve donc Philipin Pierre et Roger dicts Tardif une brigandine. Voici notre Philippe Tardif et ses frères et nous apprenons qu’ils possédaient une brigandine c’est à dire une protection de très bon rapport efficacité/prix. On la repère sur les peintures et enluminures à son aspect : un pourpoint coloré (rouge, vert, bleu, noir) et semés de petits clous dorés ou argentés. Elle protège le buste, partie vitale de notre anatomie.

Lors d’une montre de 1484, on rencontre dans la catégorie des archers un Robinet et un Jehannequin Tardif. Celui-ci pourrait bien être le père des trois Tardif cités ci-dessus qu’on connait sous le prénom de Jean.

En 1461, onze ans après la délivrance de la Normandie occupée par les anglais de 1417 à 1450, le roi fait rechercher la situation de ceux d’ancienne noblesse, dont les titres avaient été détruits. Il faut dire qu’à cette époque la Normandie était sans dessus dessous. Raymond Montfaoucq dit Montfaut entreprend donc cette recherche qu’il achève en 1463. Mais tous ceux éliminés par Montfaut assaillent le roi de réclamations le contraignant à ne pas tenir compte de cette recherche. En 1470, il promulgue la Charte générale des Francs-Fiefs, spéciale à la Normandie. Il y reconnait que c’est la coutume en cette province, pour les roturiers acquéreurs de fiefs nobles, d’obtenir leur anoblissement moyennant une taxe. En conséquence, il anoblit tous ceux qui possèdent des fiefs nobles ou en possèderaient à l’avenir pendant le prochain laps de 40 années et il fixe la redevance à payer au Trésor royal.

Ce texte stipule que les roturiers ayant acquis des fiefs nobles qu’ils tiennent à droit héréditaire, propriétaire et foncier et qu’ils possèdent noblement « à gage-pleige, cour et usage » pourront les tenir paisiblement et « seront tenus et réputés nobles et dès lors seront anoblis et leur postérité née et à naître en loyal mariage et que la volonté du roi est qu’ils jouissent du privilège de noblesse comme les autres nobles du royaume en vivant noblement, suivant les armes et se gouvernant en tous actes comme les autres nobles de la province et ne faisant autre chose dérogeante à la noblesse ».

Source : https://books.openedition.org/pur/120192?lang=fr

Cette charte est prorogée pour deux nouvelles périodes de 30 années chacune et abolie en 1569 par Charles IX. Mais cette Recherche de Montfaut est de nouveau invoquée dans ses jugements par Roissy en 1598 et surtout par Chamillart en 1666.

Jean Tardif avait été renvoyé par Montfaut mais certain de ses descendants ayant été par la suite considérés comme noble il a dû satisfaire à la fameuse Charte des Francs-Fiefs de 1470 !


6 commentaires

    1. Author

      Merci, oui quand on a la chance de trouver les bonnes archives c’est top !

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