Source : Extrait de mappe sarde – A.D. 74

1) Mappe sarde : une autre source savoyarde spécifique

La mappe sarde est un cadastre réalisé entre 1728 et 1738 par l’administration du royaume de Piémont-Sardaigne. C’est le premier cadastre graphique européen réalisé à l’échelle d’un pays ! Chaque mappe dessine le territoire d’une paroisse. La campagne de relevé et de bornage, décidée en 1728, dure dix ans, un temps record pour l’époque ! 638 communes sont couvertes par 20 escadres de 6 équipes composées chacune d’un géomètre, d’un métreur et d’un estimateur qui œuvrent en même temps dans 6 paroisses voisines.

Le relevé parcellaire se fait à l’aide d’une table prétorienne ou planchette.

Source : De Re Ichnographica : Cujus Hodierna Praxis Exponitur, Et Propriis Exemplis Pluribus Illustratur. In Que Varias, Quæ Contingere Possunt, Ejusdem Aberrationes, Posito Quoque Calculo, Inquiritur

Planchette et alilade : La planchette se compose d’une table rectangulaire « A » , fixée avec des vis sur un châssis en cuivre ou en fer . Ce châssis est soutenu comme un graphomètre par un genou sphérique « D » , avec une douille « E » pour recevoir un trépied « B ». L’alidade , dont on se sert pour lever un plan à la planchette ,se compose d’une règle plate « C » , terminée à chaque bout par deux montants « H » perpendiculaires. Chaque montant est percé d’une pinnule « I » . Le milieu « J » de la règle est percé d’un trou circulaire destiné à recevoir un pivot , que l’on enfonce dans la planchette.

C’est ainsi que la mappe est constituée, par la juxtaposition de planchettes. C’est alors que le livre de géométrie ou livre des numéros suivis est réalisé, il énumère les parcelles dans l’ordre des numéros portés sur la mappe avec le nom du propriétaire et l’étendue du fonds. Avec l’aide de la communauté, l’estimateur réalise ensuite un livre d’estime ajoutant aux informations relevées :
– le degré de bonté : productivité chiffrée 0 (nulle), 1 (bonne), 2 (médiocre) ou 3 (mauvaise)
– la production annuelle de chaque terrain exprimée en nature
– le rendement annuel.

L’ensemble est envoyé à Chambéry où des fonctionnaires produisent trois documents par commune :

    1. un original de la mappe en noir et blanc, envoyé à Turin, aujourd’hui aux A.D. (non consultable)
    2. une copie de la mappe complétée de légendes et de couleurs déposée à la Chambre des Comptes de Chambéry, aujourd’hui aux A.D. (non consultable mais numérisée)
    3. une autre copie de la mappe laissée dans la commune accompagnée d’un livre des numéros suivis qui ont en général disparus.

Ces deux derniers documents permettent à des calculateurs de fixer, pour chaque parcelle, la valeur foncière et le montant de l’imposition (livres de calculation). Car en effet c’est un document a but fiscal !

La perception de l’impôt est particulièrement confuse, imprécise, d’origine médiévale. Les levées de fonds ne sont pas définies, elles se font au besoin et s’appellent des subsides. Elles sont réparties entre les habitants en excluant les plus pauvres.

Certaines communautés ont réalisé des cadastres avant le XVIe siècle, sorte de liste des contribuables (nobles et gens d’Église exclus) servant à une estime des biens pour la répartition de l’impôt. Le duc a essayé une forme d’imposition avec la gabelle en 1561, déjà évoquée ici. Mais elle ne rapportait pas assez et défavorisait les familles nombreuses puisque c’était un paiement par tête.

Deux édits de 1564 et 1584 créent un « droit de subside » qui affirment que la terre est la base de l’imposition par commune. Mais un édit de 1586 revient au paiement par feu par châtellenie. Un édit de 1600 reprend l’idée du paiement selon les biens par commune et l’appelle “taille” pour la première fois. Cette taille existera jusqu’en 1788. Un cadastre est prescrit en 1601 mais peu mis en place.

Au début du XVIIe siècle, rien n’est uniformisé, tout est vieux, périmé. Après s’être occupé du cadastre piémontais, après les conflits avec la France, Victor-Amédée II décide, en 1728, l’élaboration d’un cadastre détaillé, rigoureux et uniforme en Savoie. Il impose au duché une remise en ordre fiscale en établissant une estimation juste des biens fonciers par catégories et par biens pour que ceux qui le doivent paient la taille et que les plus pauvres en soient exemptés. C’est une innovation sans précédent que cette mappe, plan parcellaire à l’échelle d’un pays entier !

Sur les documents, les parcelles sont précises :

      • Les parcelles sont catégorisées
        • Parcelles bâties : maisons, granges, écuries, fours et puits, fontaines, masures, …
        • Parcelles non bâties : cours, étangs, …
        • Parcelles agricoles : jardins, champs ensemencés, cheneviers, prés, …
        • Parcelles boisées : broussailles, bois, …
        • Parcelles de nul produits : graviers, rochers et pierriers.
      • Les parcelles sont qualifiées :
        • Les conditions de relief : plaine, pente douce et pente rude.

Des parcelles sont exonérées : celles de la bourgeoisie, et celles d’ancien fonds féodaux ou ecclésiastiques mais les preuves sont difficiles à apportées dans les temps impartis et l’on se méfie des conséquences. Les nobles vont devoir payer la taille pour nombre de leurs terres. C’est une étape essentielle dans l’histoire des rapports sociaux au XVIIIe siècle.

Une partie des résultats de cette mappe et des différents livres est concentré en des tabelles minutes ou tabelles préparatoires (classée par ordre alphabétique des propriétaires) qui sont envoyés dans les communes où la population à quinze jours pour faire ses remarques dans un cottet à griefs.

C’est alors seulement que les tabelles générales sont confectionnées : elles compilent sous forme de tableaux l’ensemble du travail effectué. Mais l’on doit se méfier du montant des estimes qui resta longtemps secret car bien souvent truquer pour correspondre aux attentes fiscales !


C’est un trésor exceptionnel pour les généalogistes apprentis historiens ! La mappe est classée en série 1 Cd aux Archives départementales de Savoie et de Haute-Savoie. D’une grande fragilité, bien souvent dans un état de conservation très précaire, elle n’est plus consultable mais depuis peu, il est possible de consulter sur internet l’ensemble des mappes (plans) restaurées par les archives départementales.

Imaginez de pouvoir découvrir les parcelles d’une mappe sarde juxtaposées sur une carte actuelle et voir l’évolution des trois derniers siècles… Un rêve devenu réalité  car quand on peut les croiser avec des cartes plus récentes c’est formidable !

Les archives proposent également en ligne :

  • le cadastre napoléonien qui ne couvre que quelques communes de Haute-Savoie et a été réalisé vers 1812-1813 (cote 3 P 3),
  • le cadastre dit français, réalisé entre 1860 et 1930 environ (cote 3 P 3),
  • le cadastre rénové actualise le précédent, à partir de 1930 (cotes 2118 W, 2120 W et 2195 W).

Sur la mappe de viuz-en-Sallaz, j’ai repéré la maison où ma grand-mère a vu le jour, ainsi que sur le cadastre français et sur le cadastre rénové.
Source : A.D. de Haute-Savoie


2) Mappe sarde : que faire de toi ?

Et bien dans les actes notariés, dès le XVIIIe siècle, les parcelles concernées par les actes sont identifiées par rapport à la mappe sarde ! Un gros travail de recherche est à mener à présent pour relier l’ensemble…

Par exemple, mon ancêtre Honorable Pierre Pellet vend à Antoinette Decroux veuve d’Antoine Cochet Grasset, d’autres ancêtres, une pétiole de vergers contenant le douzain d’une seytorée, le 28 mars 1765. On apprend dans la vente le numéro du pré sur la mappe : 1139.

Source : Tabellion de Viuz-en-Sallaz 6 C 2061 vue 734/1512

Dans la tabelle voilà ce que l’on apprend sur ce pré qui appartenait déjà à mon ancêtre :

  • Pré de La Forge
  • degré 2 (parcelle moyenne à médiocre)
  • mesure 4 tables de Piémont ou 20 toises et 5 pieds de Savoie
  • suivent sa valeur et la cotte de la taille

Pierre Pellet

Source : Tabelle de Viuz-en-Sallaz  A.D. de Haute-Savoie

Le pré vendu a donc une superficie de 152 m², calculé dans les 2 systèmes de mesures grâce à ce tableau.

Et voici la fameuse parcelle 1139 !

Mais la puissance de l’informatique nous permet d’aller beaucoup plus loin ! Sur le site des  A.D. de Haute-Savoie, il est possible de trouver les propriétés d’un ancêtre donné, de les géolocaliser, d’en connaitre le détail précis renseigné dans la tabelle !

Voici les étapes à ne pas manquer !

Ce guide-légende est très bien fait pour comprendre ce qui est représenté sur la mappe !

Source: étude

Il est aussi possible de faire une analyse agraire, de production…


Ajoutons que dans les communes étaient tenus un livre journalier où étaient enregistrées en ordre chronologique toutes les translations (vente, succession, échange…) et un livre de transport dressé lui en ordre alphabétique des propriétaires qui contenaient les mêmes informations aux noms du nouveau possesseur et de l’ancien. La tabelle générale quant à elle était annotée de renvois vers le livre journalier. Les impôts auraient dû être ainsi très bien suivis ! Malheureusement c’était un travail colossal et très mal fait…


Pour en savoir plus un article complet ici ! Un dossier !

Sources :
– Aux archives départementales de la Savoie : mappes
– Aux archives départementales de la Haute-Savoie : mappes
Les cadastres en Savoie au XVIIe siècle, Laurent Perrillat
Le cadastre Sarde de 1730 en Savoie
Le cadastre savoyard de 1738 et son utilisation pour les recherches d’histoire et de géographie sociales, Paul Guichonnet, in Revue de Géographie Alpine Année 1955 43-2 pp. 255-29
Notice sur l’ancien cadastre de Savoie, 1896, Max Bruchet

6 commentaires

  1. Extraordinaire ! Je vais vraiment finir par regretter de ne pas avoir d’ancêtres en Savoie !

  2. La lecture de ce superbe #ChallengeAZ me donne plein de pistes, pour m’intéresser davantage à ma forêt Savoyarde que je n’ai pas encore assez explorée. Merci Estelle ! Je garde le lien pour revenir sur tes précieux articles très pointus.



Répondre à Rivet Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *