L'origine du phénomène
Même si l'émigration savoyarde existe dès le Moyen-Age, son accroissement est principalement dû:
aux ravages de la guerre avec Genève en 1589-93,
à l'accroissement de la pression fiscale,
à la récurrence de la peste en Maurienne et à Chambéry en 1564-65 / 1576-77 / 1586-88 / 1596-1600,
au refroidissement climatique (le « petit âge glaciaire ») particulièrement sensible dans les Alpes qui perturbe les récoltes, provoquent une série d’années de cherté du blé (les prix sont multipliés par 7 par rapport au début du siècle) et encouragent l’émigration.
L'émigration se généralise dès le milieu du XVIIe siècle, la réussite des premiers émigrés encourage fortement l'émigration , le pourcentage des partants a atteint un maximum de 40% de la population d'Arâches !
Deux types d'émigration
L'émigration saisonnière : elle va dominer des origines jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Le travail dans les pays d'accueil est très varié : domestique en Suisse, ouvrier sur cuivre, mercier, négociant en toilerie et draperie, colporteur et gagne-deniers (s'absentant au début de l'hiver et revenant au printemps à l'issue de la morte saison), maçon ou tailleur de pierre (partant du printemps jusqu'au début de l'hiver), coursier, régisseur, ... Ceux qui reviennent pour les moissons, portent les costumes des pays d'où ils viennent et qu'ils sont fiers d'arborer et cela donne aux fêtes et aux foires une couleur particulière. Certains, en revenant au pays, ramenaient avec eux une épouse germanique, comme cette Marie Raspiel, femme de Pierre Vulliez, qu'une cousine ou une soeur rejoindra ensuite dans la paroisse du Biot au XVIIe siècle; ou ce colporteur savoyard cité à Cernay dans le Haut-Rhin, originaire de " Motîe en sophai " (Moutiers en Savoie), qui avait épousé une Alsacienne, ramenée au pays. Ce type d'émigration était principalement une émigration individuelle d'hommes, même si pour des raisons notamment de sécurité, plusieurs parents ou habitants du même village ou de la même vallée faisaient parfois route ensemble.
L'émigration définitive : vers la Bavière, la Suisse, l’Autriche ou la France (Lyon serait la plus grande ville des Savoyards !) avec quelques belles réussites individuelles de commerçants comme les Pernat, d’Arâches, à Bâle. Elle se développera surtout à partir du XIXe siècle et supplantera la précédente. Certes, elle existait déjà auparavant mais restait marginale, liée souvent à un mariage en terre étrangère qui " fixait " l'émigrant et l'introduisait dans la société locale. Mais, à partir du XIXe siècle, des conditions nouvelles apparaissent qui entraîneront des familles entières, regroupées parfois par hameaux ou par paroisses, à quitter définitivement leurs vallées, sans esprit de retour, après avoir liquidé leurs biens ancestraux, pour aller coloniser des terres nouvelles manquant d'habitants. Parallèlement, la traditionnelle absence hivernale tendra à disparaître. Certaines communes détiennent encore des registres de l'émigration, donnant de nombreux renseignements, dont le lieu de destination de ceux qui partaient ainsi en famille vers d'autres continents.
Les lieux de destination
Cette émigration est essentiellement une émigration européenne de proximité vers les États limitrophes de la Savoie ou un peu plus éloignés d'elle, surtout s'ils sont de religion catholique, car le Savoyard se munissait avant son départ d'un certificat de baptême.
Le flux le plus important se portait depuis fort longtemps vers l'Allemagne , c'est-à-dire dans tous les pays de langue allemande, ce qui inclut l'Alsace comme l'Autriche. En 1614, un recensement réalisé dans la région de Megève et de Passy montrait que dans une quinzaine de paroisses, 200 émigrants sur 300 au total se dirigeaient vers ces pays alémaniques. L'Allemagne du sud, Pays de Bade, Wurtemberg et Bavière, les attirent particulièrement mais certains vont jusqu'à Vienne. La protection du Prince Eugène de Savoie, sauveur de l'Empire contre les Turcs, y est pour beaucoup et nombreux seront les Savoyards qui s'y installeront et réussiront dans le commerce comme dans l'armée. Réussite et fortune sont alors parfois au rendez-vous: le châtelain Coudray, de Scionzier, reçoit 20 000 florins de l'hoirie d'un oncle, marchand bourgeois à Vienne, tout comme la famille Ballaloud de Saint Sigismond qui fit un si gros héritage d'un oncle d'Autriche, qu'un mulet ne put transporter seul, les pièces d'or versées par un banquier de Genève. Pour les plus dynamiques et les plus brillants de ces émigrants Savoyards, on constate une véritable course à la notabilité et aux fonctions honorifiques, charges municipales ou titres nobiliaires apparaissant vraiment comme le point d'orgue d'une carrière réussie: ainsi, au XVIIIe siècle, l'empereur d'Autriche anoblît cinq marchands originaires d'Arâches, tandis qu'un Montfort, venu de Sallanches en Faucigny devient en 1769, premier magistrat de Fribourg-en-Brisgau.
L'Alsace était aussi une destination très fréquentée, les études entreprises depuis quelques années nous montrant la présence et l'implantation de nombreux Savoyards à Cernay, Kayserberg, Sélestat, Ttirckheim ou Vesoul.
Une émigration définitive pour s'installer sur des terres devenues disponibles se rencontre, durant cette période, dans les régions dévastées par les guerres. Les Savoyards apporteront leur contingent d'immigrants pour repeupler la Lorraine, qui a perdu plus de la moitié de sa population à l'issue de la guerre de Trente ans, où ils seront attirés, comme les Picards ou les Tyroliens, par le duc Léopold.
Mais c'est surtout la Franche-Comté plus proche, totalement dévastée par la guerre de 1635 à 1644, qui les verra s'installer sur des terres où près des trois-quarts des habitants auront disparu. Plus de 2 000 patronymes d'origine savoyarde seront ainsi recensés dans cette région.
La France, mais aussi l'Italie du nord ou les cantons suisses sont et resteront pendant des siècles d'autres lieux d'émigration des habitants du duché.
En 1726, alors qu'il y a 500 habitants
à Arâches, il y a 105 émigrants ainsi repartis:
68 en Allemagne,
21 en France,
11 en Suisse,
et 5 en Italie.
En 1700, l'église d'Arâches a été détruite par le feu et reconstruite. C'est l'église actuelle : on retrouve dans la base de ses murs extérieurs des têtes sculptées primitives qui sont des souvenirs de la première église. Le choeur est offert par des émigrants de Vienne, en Autriche, les lustres sont de Paris et une salle du presbytère, actuellement aménagée en musée, contient une quantité d'objet de culte offerts par des émigrants. En 1728, Nicolas Falquet fait construire la chapelle du Pernant sur l'emplacement des ruines d'une ancienne chapelle dont une croix en pierre marque l'emplacement ; il a déjà fait et fera d'autres nombreux dons à son village natal car il a fait fortune à Vienne où il est parti à l'âge de 12 ans, sans instruction, pour être coursier chez un négociant qui, se rendant compte de son intelligence, lui fait donner des cours en même temps qu'à ses enfants. Nicolas se marie avec la fille du patron, devient le successeur de son protecteur. Plus tard, sa femme décède. Il revient à Arâches pour se marier avec Claudine Passy du hameau du Lay avec laquelle il a plusieurs enfants dont Bernard, né en 1710 et qui, en Allemagne, deviendra baron d'Empire ; Béatrice, née à Arâches en 1713, et Thérèse qui sera religieuse ursuline à Sallanches. A sa mort, il laisse une fortune de 2 millions de florins d'empire. La liste des émigrés qui ont réussi est longue, on a même retrouvé, dans les archives, la lettre d'un bourgmestre d'Autriche avec l'avis de décès d'un habitant d'Arâches qui était colporteur et avait été assassiné.